En long, en large et en ampères

Actuellement, le CERN travaille en collaboration avec une société italienne pour développer des fils supraconducteurs capables de bien fonctionner à des températures atteignant 25 K (-248°C). Ces fils permettront de sortir du tunnel les dispositifs d’alimentation électrique qui approvisionnent les aimants du LHC, les préservant ainsi des dégâts causés par la pluie de particules très énergétiques produite par l’accélérateur.

 

Figure 1 : ce type de dispositif, qui mesure environ 10 m de long, est intercalé entre les aimants de l'accélérateur en différents points du LHC.

Question alimentation électrique, les aimants qui guident les particules dans les grands accélérateurs sont du genre gourmand : au LHC, jusqu’à 1,5 million d’ampères leur sont délivrés. Actuellement, ils sont approvisionnés par plusieurs câbles en cuivre pouvant  atteindre 10 cm de diamètre. Dans le tunnel, ces câbles relient les alimentations électriques aux amenées de courant (des dispositifs de transition chaud-froid entre les câbles en cuivre à température ambiante et les aimants situés dans le bain d’hélium superfluide). Dans l’accélérateur, les amenées de courant sont, elles, connectées à des câbles supraconducteurs au niobium-titane (Nb-Ti), qui transfèrent le courant aux aimants (voir figure 1).

Jusqu’à présent, ce système d’alimentation ne posait pas de problèmes majeurs. À l’avenir cependant, il pourrait devenir un véritable handicap. En effet, à la puissance nominale du LHC, les alimentations électriques seront exposées à une pluie de particules très énergétiques, ce qui pourrait entraver leur fonctionnement. « L’idéal serait de pouvoir sortir les alimentations électriques du tunnel. En plus, le personnel pourrait ainsi y accéder rapidement et sans souci des radiations, indique Lucio Rossi, chef du projet High Luminosity LHC (HL-LHC). Malheureusement, en raison de chutes de tension électrique, les câbles en cuivre sont inemployables sur de longues distances. Il nous faudra donc travailler avec des câbles supraconducteurs. » Et c’est là tout l’enjeu. Car les câbles supraconducteurs au Nb-Ti utilisés dans le LHC sont associés à un lourd réseau de cryogénie à l’hélium liquide entre 4,2 K et 1,9 K (-268,8°C et -271,1°C). Réseau qu’il n’est pas question d’étendre. D’où l’apparition d’un nouveau candidat : « Nous travaillons en ce moment en collaboration avec la société italienne Columbus pour développer de nouveaux fils supra à base de diborure de magnésium (MgB2), explique Amalia Ballarino, responsable de la section ‘Supraconducteurs et dispositifs supra’ au sein du département TE. Le MgB2 est nettement moins coûteux que les supraconducteurs à haute température (High Temperature Superconductors), et présente le gros avantage de rester opérationnel jusqu’à 25 K (-248°C). Ce matériau existe depuis les années cinquante, mais ses propriétés supra n’ont été découvertes qu’en 2001. » Avec ces fils, le CERN pourra ainsi constituer des câbles capables de transférer des hauts courants - supérieurs à 100 kA - pour alimenter les aimants depuis la surface.

Figure 2 : ce tube noir est le cryostat semi-flexible qui assurera le refroidissement des câbles MgB2 du tunnel jusqu'à la surface. Celui-ci, qui est déroulé dans le hall de SM18 pour y subir des tests, mesure 20 mètres de long pour un diamètre d'environ 16 cm.

« Pour ce supraconducteur, un refroidissement à l’hélium gazeux [et non pas liquide] est suffisant (voir figure 2), ce qui allège considérablement le système cryogénique, souligne Amalia Ballarino. De plus, le MgB2 peut travailler avec une marge de température de plusieurs degrés, ce qui est très avantageux pour l’opération de la machine. Mais nous avons malgré tout dû faire face à une difficulté : jusqu’à présent, il n’existait que des rubans plats de MgB2 ex-situ*, inadaptés pour la fabrication de câbles à fort ampérage. » Pour contourner cet obstacle, l’équipe d’Amalia et Columbus ont développé des fils ronds performants. Ils tiennent le bon bout !


*Il s’agit d’une technologie de production des fils supraconducteurs.

par Anaïs Schaeffer