Un précieux regard sur le CERN

Rania Python, jeune étudiante de 25 ans en deuxième année de Master à l'Ecole de traduction et d’interprétation (ETI) de Genève, est arrivée au CERN le 16 août, pour effectuer un stage de deux mois au sein du service de traduction. Rien d’extraordinaire, jusqu'à ce que l'on apprenne qu'elle est non-voyante.

 

L'une des premières questions que l'on se pose à l’annonce de cette nouvelle, c’est : comment fait-elle? Heureusement, grâce aux nouvelles technologies informatiques Rania est en mesure de travailler comme tout autre traducteur. « Pour pouvoir lire un texte sur mon ordinateur, j'ai le choix entre deux méthodes : je peux soit utiliser la fonction vocale, grâce à laquelle le logiciel dicte le contenu de l'écran, soit le clavier spécial en braille (voir photo + box) qui se connecte à un port USB et retranscrit le texte sous mes doigts », explique Rania.

Pour son stage au CERN, Rania a apporté le matériel nécessaire qui lui a permis d’être tout de suite opérationnelle. Ainsi, dès sa première semaine, Rania a traduit, entre autres, deux articles du Bulletin (Pleins feux sur la première école africaine de physique! et Un jardin extraordinaire) de l’anglais vers le français. Par ailleurs, Rania peut également traduire de l'italien vers le français.


Rania n'a pas toujours été non-voyante. Lorsqu'elle était petite, elle avait déjà d'importants problèmes de vue, mais avec l'utilisation d'une loupe grossissante 100 fois, elle pouvait lire un texte. C'est la raison pour laquelle elle se souvient des formes et des couleurs. Malheureusement, après avoir reçu un choc au visage, Rania a totalement perdu la vue. « À la suite de cet accident, à l'âge de sept ans, j'ai dû commencer à apprendre le braille. Il m'a fallu un an, à raison de deux heures par semaine, pour maîtriser ce langage », se rappelle Rania.

Rania et ses parents ont dû se battre pour qu'elle puisse suivre un cursus scolaire classique. « J'ai intégré une école spéciale pour les non-voyants pendant un an et demi. Bien que les structures de ces écoles soient adaptées aux non-voyants, ce fut une très mauvaise expérience pour moi, car les méthodes de travail ne me correspondaient pas. Mes parents et moi avons tout fait pour que je puisse réintégrer mon ancienne école et ainsi retrouver mes amis », nous a-t-elle confié.

Malheureusement, au quotidien, plusieurs choses viennent compliquer la vie des non-voyants, comme des travaux dans la rue ou plus simplement un objet qui n'est plus à sa place habituelle. Le CERN étant un vrai labyrinthe, il n'est donc pas difficile d'imaginer les difficultés que Rania a dû rencontrer rien que pour atteindre son bureau. « Le moindre petit changement peut bouleverser nos habitudes et cela peut nous prendre beaucoup de temps avant de retrouver nos repères. Par exemple, au CERN, il est très facile de se perdre, et avec les travaux en cours, cela ne me facilite pas la tâche. Mais heureusement, ici, il y a toujours quelqu'un pour m'accompagner. Je me sens donc bien en sécurité », explique Rania.

De plus, dans sa vie quotidienne, Rania a une très fiable alliée : Jenny, son chien-guide, qui l'accompagne partout et la protège en toute circonstance. Entre les deux, il y a une véritable complicité au point où, pour se déplacer, Rania n'utilise plus sa canne, mais seulement Jenny. La chienne est capable de lui indiquer le moindre obstacle.

Le stage au CERN représente beaucoup pour Rania car c'est sa première expérience professionnelle. En effet, lorsque l'on est non-voyant, trouver un stage ou un emploi relève souvent du parcours du combattant. « J'ai déjà eu des mandats en free-lance, mais ce stage au CERN me permet de découvrir la vie en entreprise et de mettre un pied dans la vie active. C'est une très bonne expérience, tant au niveau professionnel, qu'humain », confirme-t-elle.

Le lendemain de son arrivée, Rania a visité le hall SM18 où elle a pu prendre le temps de tout toucher, surtout à l’intérieur de la maquette du tunnel. « Grâce au toucher, j'arrive à bien me représenter les choses qui m'entourent. Cette visite était vraiment extraordinaire. Maintenant, lorsque l'on me parlera des aimants du LHC, je saurai à quoi ils ressemblent » conclut Rania.

Le rêve de Rania serait de devenir interprète de conférence. Elle va prochainement postuler à l'examen d'admission. Nous lui souhaitons une longue et grande carrière.


Le service traduction

Le groupe Traduction et procès-verbaux (TM) compte quatre traducteurs de langue maternelle française, ainsi que quatre traducteurs de langue maternelle anglaise.
Ils sont chargés de la traduction des documents officiels du CERN dans les deux langues de travail de l'Organisation (l'anglais et le français) et occasionnellement depuis l'allemand et certaines autres langues européennes. Tous les ans, il accueille, dans le cadre du programme des étudiants administratifs, trois stagiaires francophones provenant de l'ETI de Genève et de l'ESIT de Paris.
Ils assurent également la rédaction des procès-verbaux des réunions officielles des organes de gouvernance du CERN (Conseil, FC, SPC, TREF, etc.).

La parution du Bulletin en deux langues est possible uniquement grâce au travail du Groupe TM. Nous profitons de cette occasion pour remercier tous les membres du service !

Pour plus d’infos sur le service traduction, cliquez ici.


Le langage braille (extrait de Wikipedia)

Le braille est un système d'écriture tactile à points saillants. Le système porte le nom de son inventeur, le Français Louis Braille (1809-1852), qui avait perdu la vue suite à un accident.

Synthèse vocale, plage tactile, reconnaissance de caractères

Les progrès technologiques se font aussi sentir dans le domaine de la synthèse vocale. Il y a encore quelques années, les personnes non-voyantes étaient les seules à comprendre les phrases prononcées par le logiciel de lecture. Actuellement celles-ci sont compréhensibles par tous. La ponctuation est bien ressentie pendant l'écoute. Les lectures d'écran sont des logiciels permettant de transformer un écran visuel en une page en braille ou en un texte parlé.
Restent encore les plages tactiles, plaques sur lesquelles se trouvent un enchaînement de rectangles composés chacun de six petits picots qui se lèvent ou s'abaissent afin de composer les caractères. Ainsi une ligne de texte apparaissant à l'écran est traduite sur la plage tactile en braille. La plage tactile est aussi appelée plage braille.
Lorsqu'une personne non-voyante souhaite lire le texte présent sur l'écran de l'ordinateur, elle a le choix entre deux possibilités de défilement du texte sur la plage tactile : soit elle appuie sur un bouton dès qu'elle a fini de lire chaque ligne pour avoir la suite du texte, soit le texte défile à un certain rythme et elle lit au fur et à mesure.  Une interface informatique dite Hyperbraille devrait bientôt permettre aux non-voyants de consulter des graphiques. La page complète de Wikipedia est disponible ici.

par Laëtitia Pedroso