Un sommet pour la cryogénie

Le premier secteur du LHC a été refroidi en dessous de 2 K (-271°C), un sommet technique gravi en deux mois, degré par degré.

François Millet du département AT et Kamel Hafi du consortium d'ALLS (Air Liquide, Linde et Serco) dans la salle de contrôle de la cryogénie le 5 avril, jour où tout le secteur a été refroidi pour la première fois en dessous de 2 K.

Graphique montrant l'état du secteur le jeudi 5 avril.

À l'approche de l'exploit, l'ambiance a chauffé dans la salle de contrôle de la cryogénie. Le jeudi 5 avril, le premier secteur du LHC est descendu en dessous de la température de 2 K (-271°C), plus froid que l'espace intersidéral! Le secteur 7-8 (un huitième de l'accélérateur) devient ainsi la plus grande installation supraconductrice du monde refroidie à l'hélium superfluide.

Ce résultat remarquable est l'aboutissement d'un travail de mise en service de plus de deux mois. La méthode de refroidissement utilisée avait été validée sur les cellules de test (107 mètres de long) du LHC (String 1 et 2). C'est toutefois la première fois que le principe s'applique à un aussi grand ensemble. Le secteur de 3,3 kilomètres est formé d'une trentaine de cellules et comprend plus de 200 aimants dipôles et sections droites courtes (qui contiennent les aimants quadripôles).

Le refroidissement a démarré fin janvier et s'est déroulé en trois temps, entrecoupés d'une multitude de tests et de contrôles approfondis. Durant la première phase, le secteur de 4700 tonnes a été refroidi jusqu'à 80 K, soit juste au-dessus de la température de l'azote liquide. Durant cette phase plus de 1200 tonnes d'azote liquide ont été consommés. À cette température, la contraction thermique finale du matériau atteint 90%, ce qui représente une contraction des structures en acier de 3 millimètres par mètre. Pour permettre cela des éléments de compensation (soufflets, lyres) ont été installés dans les interconnexions entre aimants. Sur l'ensemble du secteur, la contraction totale atteint près de 10 mètres!

À partir du 5 mars, les équipes se sont attelées à la deuxième phase, refroidissant le secteur à 4,5 K à l'aide de gigantesques réfrigérateurs. Environ 15 tonnes d'hélium ont été nécessaires pour remplir le secteur. Chaque secteur dispose de son propre réfrigérateur et chacun des aimants principaux est rempli d'hélium liquide.

La dernière phase, démarrée à la mi-mars, a fait intervenir un système de pompage complexe pour abaisser la pression et refroidir les aimants et les 10 tonnes d'hélium qu'ils contiennent jusqu'à 1,9 K. Pour parvenir à une pression de 15 millibars, ce système combine des compresseurs centrifuges hydrodynamiques fonctionnant à basse température avec des compresseurs volumétriques à température ambiante. À 1,9 K, l'hélium devient superfluide, s'écoulant quasiment sans viscosité et permettant d'accroître la capacité de transfert de chaleur.

La complexité et le grand nombre de sous-systèmes à mettre en service pour la première fois, avec des conditions d'interface à gérer, expliquent le temps qu'il a fallu pour refroidir ce secteur. Le système de contrôle d'un secteur doit gérer environ 4000 entrées-sorties et 500 boucles de régulation qui doivent être ajustées sur le terrain. De surcroît, les équipes ont multiplié les contrôles afin que le refroidissement soit réalisé avec prudence. Cette phase d'apprentissage, longue mais nécessaire, a permis aux équipes de se préparer au refroidissement des autres secteurs. «Ce résultat est la consécration d'un travail de plus de 15 ans et je tenais à féliciter toutes les équipes qui y ont contribué», souligne Laurent Tavian, chef du groupe AT/ACR.

Les équipes qui ont participé à cette aventure, le groupe AT-ACR, tous les groupes qui sont venus en support et les partenaires industriels impliqués dans l'exploitation et la maintenance, méritent en effet un beau coup de chapeau!