Un trait de lumière sur les performances du LHC

Les dimensions et la puissance du LHC sont telles qu'on en oublierait les dispositifs de plus petites dimensions qui en assurent la surveillance. Ceux-ci ne manquent pourtant pas de complexité. L'ingéniosité de la technologie se manifeste aussi dans le détail!


On voit à droite l'un des ondulateurs installés dans le tunnel du LHC. De droite à gauche (derrière): Lucio Rossi (chef de groupe, MCS), Davide Tommasini (étude de conception, MCS), Thierry Tenaglia (études pour l'intégration,TS-MME), Remo Maccaferri (chef de projet, MCS) et Hans Kummer (MCS/ME); devant: Gilles Trachez (MCS-ME) et Bruno Meunier (FSU-AT12).

A l'ordinaire, les articles qui traitent du LHC s'étendent sur les ordres de grandeur vertigineux qui le caractérisent. Pourtant, l'intelligence qui se déploie dans le mécanisme de surveillance du faisceau atteste que la beauté existe aussi à petite échelle. Du fait de sa configuration, l'accélérateur LHC a mis au défi les ingénieurs chargés de concevoir le système de détection de la forme du faisceau de particules, qu'on appelle «profil du faisceau». Le faisceau se rétrécit à mesure qu'augmente l'énergie, mais sa position à l'intérieur du tube doit rester la même à chaque tour. Dans ses précédents accélérateurs de protons, le CERN utilisait des fils se déplaçant à travers le faisceau pour mesurer le profil de celui-ci. Cependant, à l'intensité nominale, un tel système interférerait dangereusement avec le faisceau. Une nouvelle instrumentation a donc été nécessaire pour mesurer avec précision la taille du faisceau sans interférer avec celui-ci.

La solution est simple, mais néanmoins ingénieuse. Un faisceau de protons se déplaçant en ligne droite ne peut être décelé par l'oeil humain, mais, si sa trajectoire est incurvée d'une certaine quantité, une lumière visible est émise: le rayonnement synchrotron. Les aimants de courbure normaux ne peuvent être utilisés à cette fin qu'à des énergies de faisceau très élevées (environ 2 TeV). Or, lors de l'injection (lorsque le faisceau est envoyé dans l'accélérateur), l'énergie est plus faible. Après examen de plusieurs possibilités, la solution a été trouvée sous la forme d'un dispositif appelé «ondulateur». Mesurant seulement un dixième de la taille des dipôles, les deux ondulateurs construits n'occuperont que 3 mètres sur les 27 kilomètres de l'anneau du LHC. Chaque ondulateur contient une série d'aimants supraconducteurs produisant des champs alternés de 5 teslas qui feront onduler le trajet du faisceau. Le rayonnement synchrotron émis se déplacera en ligne droite jusqu'aux miroirs en silicium placés à des points spécifiques dans les chambres à vide de l'accélérateur. La lumière sera réfléchie par les miroirs sur deux télescopes, équipés de caméras suffisamment rapides pour saisir les images du rayonnement synchrotron venant de face (voir le diagramme). Le profil de chaque paquet de particules dans le faisceau et les changements de position du faisceau pourront donc être déduits des images. Un ondulateur est prévu pour chacun des deux faisceaux, qui circuleront en sens opposé dans le LHC.


Configuration du système de détection du faisceau au Point 4 du tunnel LHC.

Simple sur le papier, la réalisation de cette technologie est une réelle prouesse, qui a nécessité de faire appel aux compétences de plusieurs départements. Le projet a été lancé et financé par le groupe Instrumentation de faisceau (AB/BI), qui a également construit tous les systèmes optiques et électroniques nécessaires pour la capture du rayonnement synchrotron, avec l'aide des groupes Ingénierie mécanique et des matériaux (TS/MME) et Vide (AT/VAC). La conception et la construction des ondulateurs ont été entièrement menées à bien au CERN, sous la responsabilité du groupe Aimants, cryostats et supraconducteurs (AT/MCS), en collaboration avec les groupes Cryogénie pour accélérateurs (AT/ACR) et Vide (AT/VAC). Le matériel a été réalisé par l'atelier principal du CERN (TS/MME) et par l'atelier des aimants supraconducteurs (AT/MCS/ME).

Les deux ondulateurs ont été installés dans le tunnel du LHC le 21 novembre au Point 4 (IR4) près d'Echenevex, en France. Les aimants des ondulateurs ont été testés avec succès par le groupe Essais et mesures d'aimants (AT/MTM) avant d'être installés et ils sont maintenant prêts pour la mise en service du LHC.

Un record pour un ondulateur supraconducteur

L'utilisation d'un détecteur de profil par rayonnement synchrotron pour le LHC a été longuement débattue car les exigences imposées à l'ondulateur supraconducteur semblaient trop contraignantes. En particulier, la compacité requise pour reproduire un profil de faisceau de grande précision, associée à la grande ouverture nécessaire pour l'optique du faisceau, exige une exploitation à une intensité de courant et à un champ magnétique très proches de la limite critique de la zone supraconductrice. En raison de l'important rapport entre l'ouverture de l'aimant (60 mm) et la période (280 mm), un champ magnétique de 8 teslas doit être obtenu aux pôles des aimants: un tel champ n'avait jamais été atteint par le passé avec des bobines imprégnées en NbTi fonctionnant à 4,5 K. Pour relever ce défi, on a recouru à un mode de fabrication proche de celui des montres suisses, pour lesquelles tous les éléments sont construits, puis assemblés avec une précision micrométrique, ainsi qu'à des solutions originales. Les bobines supraconductrices seront ainsi extrêmement stables malgré les éventuelles petites perturbations.